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Les comportements de consommation des jeunes générations ne correspondent souvent pas aux valeurs environnementales qu'ils affichent. Shutterstock

La consommation écoresponsable et les jeunes : faites ce qu’on dit, pas ce qu’on fait ?

Le « green gap », l’écart entre les valeurs affichées en matière d’environnement et les comportements de consommation réels est un phénomène particulièrement intrigant chez les jeunes générations. Malgré une conscience aiguë des enjeux et un militantisme écologique manifeste, les pratiques de ces consommateurs semblent notablement en contradiction avec leurs convictions.

Le facteur financier est souvent identifié comme le frein numéro un à une consommation plus responsable. La précarité financière de la jeunesse, qui doit souvent financer ses études, son logement ou son alimentation avec de maigres rentrées d’argent, la conduit souvent vers des biens et services abordables, mais moins respectueux de l’environnement : enseignes de fast-fashion, chaînes de restauration rapide, compagnies aériennes low cost

Ce n’est cependant pas la seule explication. D’autres éléments, physiques et cognitifs notamment, entrent en jeu et font l’objet de nos travaux de thèse en cours.

Limiter les efforts physiques

Dans les modèles d’économie classique, l’Homo œconomicus cherche à satisfaire ses besoins tout en minimisant ses coûts qui peuvent être financiers mais pas uniquement. L’achat de produits écoresponsables peut représenter, par exemple, un coût physique notable. Contrairement aux produits de consommation courante disponibles aussi bien en hypermarchés qu’en épiceries de proximité, les produits labellisés sont souvent dispersés à la fois dans des grandes surfaces classiques, des enseignes spécialisées, voire, même chez des petits producteurs locaux. Le consommateur doit à la fois se déplacer dans différents points de vente mais aussi y consacrer un temps plus important.

Une étudiante nous explique :

« J’aime beaucoup les friperies, mais il y en a peu, ou alors on ne les trouve pas toutes au même endroit donc il faut se déplacer. Avec ce genre de produits, on ne sait d’ailleurs jamais si on va trouver ce qu’on souhaite, donc on part sans être certain. C’est pour cela que parfois je renonce et je me replie sur des boutiques classiques ou en ligne : au moins je suis certaine de trouver ce que je veux. »

De même, le recyclage des emballages exige un effort de tri mais aussi parfois de se déplacer dans les différents points de collecte. Il en va de même pour le vrac, très plébiscité en théorie par les consommateurs mais posant des problèmes d’utilisation et de gestion tant pour les clients que les points de vente. De nombreux points de vente sont d’ailleurs en train de faire marche arrière en la matière.

L’utilisation des transports en commun implique d’accepter de marcher davantage pour accéder aux arrêts de bus ou métro, d’être tributaire des horaires qui ne sont pas toujours compatibles avec nos emplois du temps mais également de bénéficier d’une autonomie réduite comparée à un véhicule personnel.

Et tous ces éléments interagissent comme en témoigne une autre étudiante :

« Les magasins bio ne sont pas desservis par les transports en commun dans ma ville et comme je ne suis pas véhiculée, ça fait un bout à pied. »

Une autre poursuit :

« J’étais obligée d’aller en voiture jusqu’aux magasins spécialisés et une fois sur place je passais un temps fou à trouver les produits, surtout pour les alternatives végétales, car les rayons sont différents des supermarchés classiques. »

L’adoption d’une consommation durable exige ainsi souvent une implication physique individuelle accrue pour accéder à ces produits, ce qui peut constituer une barrière significative pour un grand nombre de jeunes consommateurs.

Privilégier la simplicité

Du point de vue cognitif, la prolifération des labels joue un rôle déterminant. Les consommateurs sont souvent perdus face à la surcharge d’informations sur la composition et l’origine des produits. Ils doivent non seulement comprendre ce que signifient les différents labels, mais aussi évaluer leur fiabilité et leur pertinence par rapport à leurs convictions personnelles.

Une enquêtée souligne :

« Pour moi, si c’est cher c’est que c’est local alors que parfois non. Les marques jouent sur l’image, des campagnes très stéréotypées avec une petite Française et quand je rentre chez moi, je me rends compte que c’est fabriqué en Chine ou au Bangladesh. »

Les différents scandales sanitaires alimentent le manque de confiance des consommateurs mais donnent aussi l’impression que face à l’ampleur de la situation, l’impact individuel sera insignifiant. Aussi, les biais de confirmation, la tendance naturelle que tout un chacun a de privilégier les informations qui confortent ses croyances et préjugés, peuvent amener les consommateurs à se rabattre sur des choix de consommation plus familiers et moins durables.

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Une étudiante explique ses choix ainsi :

« Généralement je renonce par souci de sécurité. Sur les produits électroniques reconditionnés, par exemple, tout ce qui touche à la garantie est assez flou : on ne sait pas jusqu’où c’est pris en charge. Pour un peu plus d’argent, je peux en avoir un neuf avec toutes les garanties nécessaires. »

Enfin, l’influence prédominante des réseaux sociaux et des normes qu’ils véhiculent contribue à façonner des injonctions de consommation auxquelles de nombreux jeunes se réfèrent au moment de prendre une décision. Dans tous les cas, cette prolifération d’informations plus ou moins contradictoires génèrent une surcharge cognitive chez les consommateurs qui les conduit à privilégier la simplicité et le prix.

L’observation plutôt que l’entretien

Pour proposer des solutions efficaces, il semble impératif de ne pas se fier exclusivement aux déclarations des individus qui se révèlent peu fiables dans la prédiction de leurs comportements. Dès 1992, l’ouvrage Néo-Marketing soulignait déjà le risque pour les entreprises de se fonder uniquement sur les déclaratifs et attitudes des consommateurs qui, animés par un désir de valorisation de soi, multiplient les discours vertueux.

Pour répondre à cette problématique, le recours à la méthode des itinéraires développée par le Professeur Dominique Desjeux, professeur émérite en anthropologie à l’Université de Paris, peut s’avérer pertinent. Ce procédé consiste à analyser comment un produit ou un service s’inscrit dans un réseau enchevêtré d’interactions sociales, depuis la phase de recherche et de sélection jusqu’à l’utilisation et l’élimination du produit. Et ce, à partir d’observations empiriques plutôt que d’entretiens porteurs de biais plus ou moins conscients. L’École des Cultural Studies au Royaume-Uni a de fait montré, dès les années 1950, combien l’appareillage des enquêtes de consommation reposant sur du déclaratif rendait peu ou faussement compte des modes de vie de classes sociales au faible capital culturel.

Le but de ces approches plus immersives est de comprendre le processus d’acquisition d’un bien en le replaçant dans le contexte social afin d’identifier les différentes contraintes qui influencent les choix du consommateur. La consommation est alors appréhendée comme un processus longitudinal, ce qui permet de ne pas négliger les espaces et les étapes de consommation où peut se manifester le green gap.

La sensibilisation et l’éducation des jeunes consommateurs constituent ici des leviers pour faciliter la transition vers de nouveaux comportements. Pour ce faire, une transparence et une simplification accrue des labels peut s’avérer déterminante et leur permettre de faire des choix plus éclairés. En parallèle, il est essentiel de communiquer sur les bénéfices personnels que peut offrir une consommation éco-responsable, que ce soit en termes de coûts financiers, de santé ou même d’expérience d’achat. Cette stratégie vise à démontrer aux jeunes que leurs choix personnels ont un impact positif sur l’environnement mais avant tout sur leur propre bien-être.

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