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Covid-19 : quelles conséquences sur la santé mentale ?

À la mi-mai, la pandémie due au coronavirus SARS-CoV-2 a obligé près de trois milliards de personnes à se confiner, quelque 5,2 millions d’infections ont été détectées, provoquant plus de 341 000 décès.

De manière évidente, les questions relatives au virus, à la prévention des infections et au traitement des formes sévères ont été au premier plan des préoccupations. Puis avec l’essor des contaminations, mais aussi sous l’effet du confinement, on a commencé à se soucier des problèmes de santé mentale, à se pencher sur les retombées du contexte épidémique, de la distanciation et de la quarantaine confinée en termes de souffrance psychologique, voire de risque de dépression.


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Il existe peu de données quant à l’impact précis de cette crise sur la santé mentale des populations, que ce soit à court, moyen ou long terme.

Une revue systématique de la littérature, portant sur la comparaison avec d’autres coronavirus (SARS et MERS), a souligné durant les phases symptomatiques l’apparition de perturbations d’ordre psychiatrique (anxiété, dépression, insomnie) et neuropsychologique (troubles de la mémoire, confusion). En outre, certains symptômes maniaques ou psychotiques ont pu être reliés aux traitements (comme les stéroïdes ou l’hydroxychloroquine). Des troubles après la maladie ont aussi pu être retrouvés, de type insomnies, dépression, troubles mnésiques ou bien encore souvenirs traumatiques.

Récemment, une vingtaine de chercheurs en psychiatrie et en psychologie se sont alarmés, appelant à développer les recherches sur le sujet des risques pour la santé mentale en lien avec le SARS-CoV-2. D’autres se sont inquiétés, à juste titre, de l’impact sur les soins des personnes déjà touchées par des troubles mentaux. Probablement moins visibles pour le grand public que les problématiques anxieuses et dépressives de la population générale, les situations de ces personnes se révèlent en effet préoccupantes, avec l’augmentation attendue de nouveaux épisodes ou de nouveaux troubles, comme ce fut le cas pour le Middle East respiratory syndrome (ou MERS).

Quels liens entre la pandémie et les troubles mentaux ?

Soulignons-le encore une fois. Nous manquons de données. Si des liens potentiels entre Covid-19 et troubles mentaux sont évoqués ici, ils restent à valider par des études scientifiques. De plus, en ces temps de crise où l’emballement autour de la parole scientifique peut davantage nuire qu’aider, et alors que la solidité des connaissances en psychologie n’est peut-être pas encore suffisamment mature pour se prononcer sur cette crise, il convient de rester prudent.

Une des pistes actuellement à l’étude concerne le caractère neurotrope du SARS-CoV-2 (propension à s’attaquer aussi au système nerveux), qui pourrait expliquer les perturbations de l’odorat et du goût expérimentées par certains malades. Cette particularité avait déjà été notée pour d’autres coronavirus ou pour le virus de la grippe A. Elle pourrait résulter d’une propagation du virus vers le système nerveux central. Or à ce sujet, il a été montré que des patients souffrant de troubles anxieux, de dépression, de schizophrénie ou de troubles bipolaires risquent plus que d’autres de contracter des infections, et plus précisément des pneumonies et affections à pneumocoque. Cette fragilité immunitaire chez les personnes souffrant de troubles psychiatriques, bien que souvent ignorée, fait partie des pistes de recherche pour mieux comprendre les facteurs biologiques impliqués dans l’étiologie de certains troubles mentaux.

Au-delà des voies inflammatoires et immunitaires, la vulnérabilité infectieuse des personnes souffrant de troubles psychologiques semble également liée aux difficultés à respecter les gestes barrières et l’exposition au risque. Ceci peut être imputé aux troubles de la cognition, qui vont de la diminution de l’attention et de la mémoire de travail à une cognition sociale et à un langage perturbés.

Un contexte néfaste ?

L’influence du contexte apparaît essentielle. Ainsi, la peur de pénurie alimentaire a pu exacerber certains troubles, et notamment des troubles du comportement alimentaire (TCA comme l’hyperphagie, la boulimie ou l’anorexie mentale) se manifestant parfois par un approvisionnement et un stockage pathologique de denrées. Dans d’autres cas, l’alimentation a pu être envisagée de manière émotionnelle, avec des aliments appétissants (sucrés, gras, salés, faciles et agréables à consommer) pour se réconforter et soulager sa détresse.


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D’un autre côté, les limites imposées aux déplacements quotidiens durant le confinement ont contraint le choix et la durée des activités physiques habituelles. Or, si l’activité physique peut constituer un facteur de risque dans les TCA, elle est aussi un outil thérapeutique. La limitation forcée, avec un accompagnement thérapeutique des soignants parfois diminué, a donc pu engendrer un stress intense et conduire à un effet rebond des symptômes alimentaires. À savoir, pour l’anorexie mentale, des restrictions plus rigides, des rituels de pesées, des vérifications excessives de la taille ou de la forme de certaines parties du corps, ou encore des conduites compensatoires plus pathologiques tels que les vomissements.


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Autres personnes fragilisées par la crise sanitaire : celles qui souffrent d’addictions. Pour elles, l’accès aux soins est devenu plus difficile, les consultations à distance n’étant pas toujours pertinentes pour les populations précaires, qui sont les plus vulnérables. La précarité peut ici se traduire par l’absence de domicile fixe ou d’accès à Internet, voire d’un ordinateur suffisamment récent pour qu’y soient installés les logiciels de téléconsultation pour garder le contact avec les soignants. De plus, chez les patients présentant une addiction à l’alcool, les troubles cognitifs sont fréquents – ce qui constitue un frein supplémentaire à l’utilisation de ces logiciels. Enfin, les services d’addictologie ont été parmi les premiers à devoir fermer leurs lits ou à les voir réaffectés pour des patients COVID.

Sans conclusion hâtive, on peut s’interroger sur les représentations des troubles addictifs dans notre société, car si l’addiction est une pathologie chronique, les soins peuvent être et sont souvent urgents. Dans la situation présente, il faut prendre en compte les personnes qui, n’étant pas en demande de soins avant le confinement, ont développé des addictions ou les ont vues s’aggraver de manière significative à ce moment-là. On peut à cet égard s’attarder sur l’exemple des jeux d’argent : après un mois de confinement, c’est-à-dire mi-avril, l’Autorité de Régulation des Jeux en Ligne révélait que le produit brut des jeux, porté essentiellement par le poker en ligne, avait été multiplié par trois. La prévalence de l’addiction est en temps normal d’environ 17 % parmi les adeptes de ces jeux. Mais il est à craindre qu’elle ait nettement augmenté à l’issue de la crise.

À ces problèmes, on peut ajouter ceux du sevrage brutal imposé par les difficultés d’approvisionnement pendant le confinement, puis le risque accru d’overdose une fois le confinement levé – phénomène que l’on a déjà pu observer chez des personnes dépendantes à leur sortie de prison. Pour ceux et celles ayant pu se servir du confinement comme d’un levier de changement, et ayant initié une abstinence ou un changement de consommation, le déconfinement peut s’avérer délicat. Et l’onn constate chez certains patients une inquiétude liée à la possibilité de maintenir ces changements dans un environnement moins protégé, plus exposé au réel et aux autres.

On sait en outre que le repli social est un symptôme courant de nombreuses pathologies mentales : si les mesures de distanciation et de confinement ont pu s’avérer salutaires pour réduire l’impact de l’épidémie en l’absence de traitement et de vaccin, elles posent problème dans le cadre des troubles mentaux. Qu’il s’agisse de solitude, d’un sentiment d’ostracisation, ou bien de difficultés à vivre dans un contexte de violences conjugales ou familiales, la réduction des liens sociaux habituels constitue un facteur de risque pour la santé mentale. Enfin, certains contenus médiatiques constituent un facteur de stress supplémentaire, en particulier chez des individus vulnérables sur le plan psychologique.

De ce point de vue, il paraît important d’alerter les médias, afin que leurs propos soient équilibrés et non toxiques. D’autant que la littérature et les sociétés scientifiques comme l’Association de psychologie américaine (APA) rapportent des cas de suicides parfois liés à la peur d’être atteint d’une forme grave de Covid-19, ou à celle d’être porteur du virus et contagieux dans un contexte de rejet social. L’impact sur les plus jeunes doit évidemment être anticipé.

Vers une augmentation du nombre de suicides ?

Deux psychiatres ont récemment pointé le caractère anxiogène de la pandémie de la Covid-19 eu égard à ses nombreuses incertitudes. Elle augmente le risque de voir s’intensifier les troubles chez les personnes anxieuses et dépressives. Et la fondation « Well Being Trust » estime qu’aux États-Unis, le mal-être lié à la crise sanitaire et économique actuelle pourrait conduire à 75 000 décès supplémentaires, en lien avec les troubles d’usage de substances et le suicide.

De manière plus générale, se pose la question des conséquences psychosociales de la pandémie. Il convient en particulier d’examiner les risques de décompensations dans les années à venir. Certains, et notamment les plus jeunes, risquent de subir de plein fouet les conséquences tant économiques que psychologiques de la crise sanitaire actuelle. L’Association médicale australienne (AMA) a du reste alerté sur le risque d’augmentation du nombre de suicides d’ici quelques années, en tablant sur une hausse moyenne de 25 %, voire 30 % chez les jeunes.

Ces données, qui ne sont pas encore publiées, s’appuient sur des simulations cherchant à rendre compte de l’interaction dynamique de différentes inégalités sociales, d’accès à l’emploi et aux soins avec les conséquences de la crise actuelle. Partant de ces simulations, l’AMA a établi une liste de recommandations., à savoir :

  • une meilleure coordination, au niveau de l’État et au niveau interministériel et sur l’ensemble des secteurs de la santé, de l’économie, de l’éducation et des politiques sociales ;

  • un investissement visant d’une part à développer et faciliter la coordination en équipe des psychiatres, psychologues, infirmiers et médecins généralistes sur la santé mentale, et d’autre part à créer davantage d’équipes mobiles ;

  • un déploiement rapide des nouvelles technologies e-santé en complément de la téléconsultation et des soins classiques ;

  • davantage de services dédiés aux jeunes avec une coordination très resserrée entre médical, médico-social et éducation ;

  • un déploiement plus important d’unités spécialisées dans le suivi des tentatives de suicide.

Encourager la demande d’aide et le recours aux aides professionnelles, mais aussi l’appui sur l’entourage, sont à souligner comme des facteurs protecteurs importants et reconnus.

Apprendre du présent et investir pour l’avenir

Différents rapports, comme celui de l’Académie nationale de médecine, ont mis en exergue le besoin urgent d’investir davantage et de mieux organiser et coordonner la prise en charge des personnes souffrant de maladies mentales. Leurs difficultés d’accès aux soins ont été bien documentées, la pandémie ayant conduit, bien au-delà du confinement, à re-paramétrer les modes de fonctionnement des professionnels concernés.

Dans nombre de lieux, les nouvelles prises en charge ont été suspendues. Or il faudra sûrement du temps aux patients, après le déconfinement, pour retrouver la motivation et revenir dans le soin après un premier rendez-vous annulé. Certains psychiatres, psychologues et psychothérapeutes ont en effet cessé leur activité sous sa forme classique, pour basculer vers des suivis téléphoniques et des télé-consultations. D’autres ont été mobilisés en milieu hospitalier au sein des unités en première ligne. Et au final, le lien a pu être distendu avec les professionnels, ce qui peut augmenter les risques de détresse et de décompensation qui ne seront pas repérés à temps.

Nous devons sans doute tirer des leçons de cette crise, en développant de nouveaux outils et modes de prise en charge, en investissant davantage dans la recherche (y compris en sciences humaines et santé mentale), et dans le champ de la science ouverte ou Open Science.

Après une période de mise sous tension, notre monde a dû se réorganiser : sur quoi nous sommes-nous appuyés ? Que nous a-t-il manqué, et de quoi aurions-nous besoin pour améliorer la situation ? Quelle place pour la prévention ? Autant de questions auxquelles il nous appartiendra de répondre tant d’un point de vue pragmatique, que politique ou scientifique, sans oublier d’y intégrer des considérations sur la santé mentale.


En complément : Si vous éprouvez une souffrance psychologique vous pouvez consulter cette liste de ressources disponibles ou contacter des professionnels de santé mentale gratuitement.

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