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Ibrahim Traoré, le chef de la junte, photographié ici le 8 octobre 2022 à sa sortie d’une cérémonie d’hommage à 27 soldats tués dans une embuscade djihadiste, estime que la situation sécuritaire justifie des restrictions en matière de droits humains. Issouf Sanogo/AFP

Au Burkina Faso, la protection des droits fondamentaux des citoyens en recul

Les périodes de crise (sécuritaire, sanitaire, etc.) que peut connaître un État justifient souvent des restrictions momentanées des droits fondamentaux des citoyens. Lesdits droits fondamentaux renvoient à une catégorie de droits inaliénables, inhérents à tout être humain, sans distinction de race, de sexe, de nationalité, d’origine, de religion, etc. Ils sont, par principe, inscrits dans des textes de valeur supérieure, à l’instar de la constitution ou d’un traité international, et jouissent d’une protection juridictionnelle renforcée. La gestion de ces moments de crise renseigne sur la capacité de chaque État à respecter scrupuleusement l’État de droit, même en période exceptionnelle.

Les plus vives inquiétudes naissent quand surviennent des événements dont la conséquence directe est la rupture (ou la suspension) de la légalité ordinaire, tels des coups d’État – formule qui désigne, pour l’essentiel, un renversement illégal du pouvoir par un ou des individus investis d’une autorité. Le Burkina Faso, qui a été dernièrement le théâtre de plusieurs coups d’État et tentatives de coups d’État militaires (putschs) ayant conduit à l’arrivée au pouvoir d’une junte, est confronté à plusieurs enjeux, dont celui de la nécessité d’assurer le respect et la protection des droits fondamentaux des citoyens. Or l’analyse montre que, depuis l’instauration du pouvoir de transition actuel, la situation en la matière s’est nettement dégradée.

Un contexte politique justifiant des restrictions aux droits fondamentaux

État d’Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso est, comme plusieurs autres pays de la région du Sahel, confronté depuis une dizaine d’années à une insurrection djihadiste. Il a connu, en plus de ce défi majeur, deux coups d’État en l’espace de huit mois.

Le premier est survenu le 24 janvier 2022 et a conduit au renversement du président Roch Marc Christian Kaboré. Aux affaires depuis son élection le 29 novembre 2015, ce dernier avait été réélu en 2020 sur la promesse de faire de la lutte anti-djihadiste sa priorité. Les contestations répétées des populations, excédées par les violences de tout genre et l’impuissance du président à y faire face, favoriseront la prise du pouvoir par des militaires avec, à leur tête, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.

Huit mois plus tard, le 30 septembre 2022, un autre coup d’État, mené par le capitaine Ibrahim Traoré contraindra à la démission le lieutenant-colonel Damiba, accusé à son tour de n’avoir pas pu contenir les djihadistes. À son arrivée au pouvoir, le leader de la junte prendra des décisions fortes, qui auront une répercussion directe sur la protection des droits des individus. Par exemple, lors d’un discours prononcé le 6 novembre 2023, il affirme que « les libertés individuelles ne priment pas sur celles de la Nation ». Et invite en conséquence les citoyens à « la solidarité avec les Forces combattantes engagées dans la reconquête du territoire ».

Ce discours faisait suite à l’adoption par Ibrahim Traoré du décret présidentiel n° 2023-0475 du 19 avril 2023 portant mobilisation générale. Ledit décret permet, entre autres, la réquisition des jeunes de 18 ans et plus afin de contribuer à la défense de l’intégrité du territoire national et d’assurer la sécurité des populations et de leurs biens contre la menace terroriste. Si cette mobilisation poursuit un objectif républicain, à savoir la défense du territoire et la protection des biens et des personnes, elle a malheureusement été utilisée à d’autres fins.

Dénoncé à raison par plusieurs associations et ONG locales, ce décret a, pour l’heure, favorisé des réquisitions massives et ciblées de citoyens, notamment ceux critiques à l’égard de la junte au pouvoir. Or si la situation au Burkina Faso peut justifier des limitations aux droits des individus, celles-ci ne sauraient justifier des violations systématiques desdits droits.

Un cadre normatif et juridictionnel favorable à la préservation des droits fondamentaux

Le respect et la protection des droits fondamentaux des individus supposent 1) leur reconnaissance dans un texte d’une valeur supérieure et 2) leur mise en œuvre par une juridiction tout aussi supérieure.

Dans le premier cas, le régime transitoire burkinabè semble en phase avec cette exigence capitale. En effet, l’article 1.4 de la Charte de la transition érige le respect des droits humains au rang des principes directeurs de la période de transition. Ces droits correspondent à ceux consacrés dans la Constitution du 2 juin 1991 et aux instruments internationaux auxquels la Charte se réfère, tant dans son préambule qu’à son article 1er.

Dans le second cas, le contentieux relatif à la contestation des décisions de réquisition révèle que les juges burkinabè ont pris la mesure du problème en s’érigeant en dernier rempart contre l’arbitraire. Dans une affaire relative à trois requérants destinataires d’une mesure de réquisition, le tribunal administratif de Ouagadougou a accueilli leur recours d’urgence. Il a, par la suite, ordonné à l’État de surseoir à l’exécution de sa décision au motif que ces réquisitions ne visaient ni la sécurisation, ni le maintien de l’ordre, mais étaient liées aux opinions des requérants, membres de la société civile pour les uns et journaliste pour l’autre.

Dans une autre affaire, à propos de l’homme d’affaires Sansan Anselme Kambou, le juge administratif censura à nouveau le régime transitoire. Soupçonné de connivence avec l’ancien régime, Kambou avait été enlevé à son domicile par les agents de l’Agence nationale de renseignement (ANR) dans la nuit du mercredi 20 au jeudi 21 septembre 2023. Saisi par son épouse, le tribunal administratif de Ouagadougou rendit une ordonnance le 6 novembre 2023, enjoignant le Burkina Faso à mettre sans délai un terme à sa détention.

Autre exemple : le tribunal administratif, statuant en urgence, a également ordonné la remise en liberté de l’avocat burkinabè Guy Hervé Rommel Kam. Ce dernier avait été enlevé dans la nuit du 24 janvier 2024 à l’aéroport de Ouagadougou alors qu’il rentrait de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays. Cette décision a récemment été confirmée par la Cour administrative d’appel de Ouagadougou. La haute juridiction a réitéré, le 23 avril dernier, l’ordonnance de mise en liberté rendue par le tribunal administratif, interdisant aux autorités burkinabè de porter atteinte aux libertés fondamentales de Me Guy Hervé Kam.

Toutefois, à ce jour, ces personnalités n’ont toujours pas été libérées et restent détenues dans un lieu tenu secret (pour le premier cas) et à la Direction générale de la sûreté de l’État (pour le second). Alors que les juges burkinabè, on le voit, jouent leur rôle en censurant des mesures qui enfreignent les droits des individus, la protection effective desdits droits serait un vœu pieux si les décisions ainsi rendues ne sont pas appliquées.

Le silence des autorités militaires en dit long sur leur réelle volonté de protéger les droits fondamentaux

Ni la première, ni la seconde ordonnance, encore moins la troisième citée n’a été appliquée par les autorités militaires burkinabè. Certaines des personnes concernées par ces décisions ont dû s’exiler, quand d’autres restent maintenues au front contre leur gré. Par ailleurs, plusieurs familles demeurent à ce jour sans nouvelles de leurs proches, enlevés depuis bientôt un an par la junte au pouvoir.

L’inertie des autorités militaires en la matière en dit long sur leur réelle volonté de protéger les droits des individus, et questionne inexorablement l’état du droit dans ce régime. Ainsi, au-delà de l’attachement revendiqué des autorités militaires à la dignité humaine, les coups d’État survenus au Burkina Faso semblent avoir porté un coup d’arrêt significatif à la protection effective des droits des individus sur ce territoire.

Le récent projet de loi portant statut de la magistrature, introduit par les autorités de transition, ne rassure pas. Ce texte est contesté par les magistrats qui lui reprochent d’être une véritable ode à la remise en cause de l’indépendance des juges. La situation des droits des populations burkinabè reste dès lors une préoccupation majeure.

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