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Pour une laïcité ouverte et accessible aux questionnements du temps à l’école

L'école doit être lieu du respect pour toutes les traces d'appartenance culturelle. Philippe Merle/AFP

En janvier 2015, des réactions de certains élèves lors de la minute de silence en hommage aux victimes des attentats contre Charlie Hebdo avaient interrogé sur le degré d’adhésion à la laïcité, à l’école, à la République.

À l’issue de la semaine contre le racisme et l’antisémitisme demandons-nous s’il est possible d’aborder de front la question des discriminations ethniques à l’école ?

Éducation séparée

L’école construite pour fabriquer du Commun altérise aujourd’hui par une série de mécanismes : une éducation « séparée » au sens d’une homogénéisation ethnoculturelle croissante des établissements, des classes, des séries de baccalauréats, mais aussi une altérisation notamment par des contenus de manuels.

Cette éducation séparée se traduit aussi par des effets d’attente différentielle des enseignants. Toutes les recherches empiriques confirment aussi que la quantité et la qualité de l’enseignement dispensé en classe sont modulées par la composition sociale du public.

Ces mécanismes institutionnels créent à l’école des inégalités ethniques et le fonctionnement « aveugle » des institutions produit et reproduit silencieusement des discriminations et notamment des discriminations ethniques.

Mais cette question fait effraction au sein d’un modèle républicain vécu comme universel et universalisable. Si les minorités ont bouleversé le paysage intégrationniste de la société française, et s’il est légitime de poser les problèmes de discriminations dans la « patrie des Droits de l’Homme » en terme de classe, les discriminations ethniques sont encore difficilement admises.

On peut ajouter que l’obsession française – légitime – de faire officiellement la chasse, notamment à l’école, aux discriminations de genre se double d’une certaine dénégation des discriminations ethniques.

Jamais, dans l’histoire de la République française, cette notion n’a subi une interprétation aussi extensive : de la loi de 2004 aux mamans voilées accompagnatrices de sortie scolaire, aux crèches, aux menus de substitution, aux étudiantes voilées, élèves admonestées par le simple fait de porter une robe longue noire. Toute trace d’appartenance cultuelle, voire culturelle, peut dans ce contexte être jugée suspecte.

Instrument d’agression

La « laïcité » est pour certains politiques (pas seulement à l’extrême droite) devenue un instrument d’agression des minorités.

Cette conception rigoriste contredit l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui précise « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seul ou en commun, tant en public qu’en privé ».

Les sociétés européennes sont aujourd’hui soumises à l’idée d’un déclassement face à l’émergence du reste du monde, sur les plans démographique, économique et culturel. Dans ce contexte émerge un nationalisme de repli mono-identitaire, qui fait du musulman le nouvel Autre de l’Europe une sorte d’ennemi de l’intérieur.

La laïcité française est interpellée dans sa capacité opérationnelle à réguler une société pluriconfessionnelle. Se cristallisent autour de cette notion le passif colonial, le projet émancipateur des Lumières, les formes de racisme ordinaires, la montée des terrorismes islamistes et l’essentialisation des identités.

Les musulmans sont alors réduits à une pratique –homogène – de la religion sans voir la pluralité des pratiques. Il s’agit aussi pour ces jeunes, en toute modernité libérale, d’un geste aussi esthétique (se montrer différents, singuliers, capables de choisir sa différence), au plus politique (faire de son choix esthétique une revendication).

Pourtant, la manifestation de ces identités – adolescentes, jeunes, culturelles- est interprétée comme soit comme un retournement du stigmate, soit comme conflit de classe non conscient une dite ethnicisation des rapports sociaux, avec toute la charge négative que ce terme peut receler. Sous couvert d’universalisme et de laïcité, la logique d’assimilation entend mettre au pas les différences culturelles, sociales et politiques portées par les jeunes issus de l’immigration.

Les mutations du vivre ensemble

De fait, c’est sous l’angle d’un problème posé par l’islam en France que l’on s’interroge, et non sous l’angle d’une incapacité de la République française à penser les mutations du vivre ensemble. Inverser les termes de la réflexion introduirait pourtant de nouvelles solutions.

L’idée que l’islam pose problème s’est imposée comme une sorte d’évidence sociale, massivement relayée dans les champs médiatique et politique, évidence dont l’enjeu fondamental est la légitimité présentielle des musulmans, notamment ceux issus de l’immigration postcoloniale sur le territoire national.

Se développe une suspicion à l’encontre des religiosités minoritaires, et plus encore à l’encontre de l’islam en particulier. Nous sommes au cœur de la crise économique avec la sortie des Trente Glorieuses, crise qui se caractérise par le chômage endémique et la baisse du pouvoir d’achat.

Dans le même temps, les Français d’origine française réalisent que les populations musulmanes essentiellement d’origine maghrébine ne sont plus en transit dans des cités périphériques, mais sont en train de se sédentariser, et par conséquent que leurs enfants sont ou seront français, citoyens français.

Comme il n’est pas politiquement correct de dire que l’on ne supporte pas que la francité/citoyenneté soit octroyée à des « arabes », les discours médiatiques et sociaux mobilisent le principe de la laïcité : il ne s’agit plus dès lors d’arabité, mais d’islamité.

La question se transforme alors en : l’islam est-il compatible avec la laïcité ? Elle suppose une réponse implicitement négative, avec en substance l’image de l’infériorisation des femmes, le spectre de la guerre des civilisations, l’opposition des valeurs, etc. La charge négative de l’islam (confortée parfois bien à propos par l’actualité internationale…) permet de justifier le rejet viscéral de la citoyenneté française des maghrébins éprouvé par les élites républicaines, rejet qu’ils masquent à travers une quête abstraite de laïcité universelle.

Censure, vous avez dit censure ?

Il n’est pas simple de faire état de travaux scientifiques sur les rapports de l’école à l’islam.

Mais il est temps que la recherche s’empare de ces débats.

Un observatoire scientifique nationale des identités « pluridentités » est nécessaire car le déficit de productions scientifiques et intellectuelles en sciences humaines sur la question de l’identité collective, couplé à l’absence de formation pour les enseignants sur la manière d’enseigner un sentiment d’appartenance commune (de l’école au lycée), est lourd de conséquences dans une société en perte de repères.

Un observatoire du vivre-ensemble est une nécessité collective venant combler une double carence française : en étant à la fois un centre de recherche en « identity studies » et en « world studies » (le monde nord-américain en compte des centaines).

Le mythe fondateur de l’École de la République une et indivisible fait l’objet d’un scepticisme largement partagé aujourd’hui. Pourtant, les significations imaginaires qui lui sont attachées conservent une large prégnance dans les représentations et les défenses qui leur sont liées.

Dans le système scolaire, c’est bien toujours la question de l’altérité qui est pensée comme une menace. Tout enseignement de morale laïque surplombant ne peut fonctionner car les valeurs ne s’imposent pas : elles se construisent en commun. La question de l’altérisation que porte en elle l’école laïque par les discriminations sociales et ethniques qu’elle produit doit donc être ouverte.

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